« Les tendances actuelles dans l’approvisionnement et la consommation d’énergie sont manifestement non soutenables - écologiquement, économiquement et socialement. Elles peuvent et doivent être modifiées », avertit Nobuo Tanaka, le directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie. Mettant en garde contre les tensions prévisibles en raison du déclin accéléré des gisements et de la hausse de la demande - il faudra mettre en production l’équivalent de 6 Arabie Saoudite d’ici 2030 - il estime que « l’ère du pétrole bon marché est terminée. » Sur le volet de la lutte contre le réchauffement climatique, les difficultés ne s’annoncent pas moindres. Même si les pays de l’OCDE réduisaient à rien leurs émissions, la limite des 450 ppm d’équivalents-CO2 serait malgré tout dépassée. Extraits du dernier rapport de l’Agence, voici les faits, les chiffres et les tableaux qui décrivent l’ampleur de la tâche.
Agence Internationale de l’Energie, 12 novembre 2008
« Nous ne pouvons pas laisser la crise financière et économique retarder l’action politique requise d’urgence pour assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique et réduire l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Nous devons effectuer une révolution mondiale dans le domaine de l’énergie, consistant en une amélioration de l’efficacité énergétique et l’augmentation de la mise en oeuvre d’énergies pauvres en carbone », a déclaré Nobuo Tanaka, directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) à Londres à l’occasion de la présentation du « World Energy Outlook (WEO) 2008 » - la nouvelle édition de la publication de l’agence qui dresse un tableau prospectif sur les questions énergétiques.
Projections
Dans le scénario de référence du WEO-2008, qui prend pour hypothèse la poursuite des politiques gouvernementales actuelles :
la demande mondiale d’énergie primaire croît de 1,6% par an en moyenne entre 2006 et 2030 - soit une augmentation de 45%. Chiffre inférieur à celui prévu l’an dernier, principalement en raison de l’impact du ralentissement économique, de la perspective de prix plus élevés et de nouvelles initiatives politiques.
La demande de pétrole augmente de 85 millions de barils par jour actuellement à 106 mb/j en 2030 - soit 10 mb/j de moins que prévu l’an dernier.
La demande de charbon augmente plus que toute autre source d’énergie en termes absolus, représentant plus d’un tiers de l’augmentation de la consommation d’énergie.
Les énergies renouvelables modernes croissent plus rapidement, dépassant le gaz, pour devenir la deuxième plus grande source d’électricité peu après 2010.
La Chine et l’Inde représentent plus de la moitié de l’augmentation de la demande d’énergie à l’horizon 2030 alors que le Moyen-Orient apparaît comme une nouvelle région consommatrice.
La part de l’énergie mondiale consommée dans les villes passe de deux tiers à près de trois-quarts en 2030. La quasi-totalité de l’augmentation de production d’énergie fossile se produit dans les pays en dehors de l’OCDE.
Ces tendances impliquent une augmentation des investissements dans le secteur de l’énergie de 26 300 milliards de dollars d’ici 2030, soit plus de 1000 milliards par an. Pourtant, les tensions sur le crédit pourraient retarder ces dépenses, et potentiellement provoquer un effondrement de l’offre qui pourrait étouffer le redressement économique.
Tendances insoutenables
« Les tendances actuelles dans l’approvisionnement et la consommation d’énergie sont manifestement non soutenables - écologiquement, économiquement et socialement. Elles peuvent et doivent être modifiées », a déclaré Nobuo Tanaka. « La hausse des importations de pétrole et de gaz dans les régions de l’OCDE et les pays en développement d’Asie, avec la concentration croissante de la production dans un petit nombre de pays, accroît le risque de ruptures d’approvisionnement et de forte hausse des prix. Dans le même temps, les émissions de gaz à effet seraient inexorablement accrues, mettant le monde sur les rails d’une augmentation de la température mondiale pouvant aller jusqu’à 6 ° C. »
« L’ère du pétrole bon marché est terminée »
Outre une réévaluation globale des projections sur le long terme jusqu’à l’horizon 2030, le WEO-2008 un propose une étude détaillée sur les perspectives de la production pétrolière et gazière. Le pétrole restera la principale source d’énergie pour de nombreuses années à venir, même dans le cadre de la plus optimiste des hypothèses sur le développement de nouvelles technologies. Mais les sources de production pétrolière, le coût de cette production et les prix que les consommateurs auront à payer restent extrêmement incertains. « Une chose est sûre », a déclaré M. Tanaka « avec des déséquilibres du marché accroissant la volatilité, l’ère du pétrole bon marché est terminée ».
Le rôle des sociétés nationales
« Un changement radical est en cours dans le secteur amont de l’industrie pétrolière et gazière : les sociétés pétrolières internationales font face à la diminution de leurs possibilités d’accroître leurs réserves et la production. En revanche, les entreprises nationales devraient compter pour environ 80% de l’augmentation de la production de pétrole et de gaz à l’horizon 2030 », a déclaré M. Tanaka. Mais il est loin d’être certain que ces entreprises soient disposées à faire ces investissements elles-mêmes ou attireront suffisamment de capitaux pour maintenir le rythme nécessaire de l’investissement. En amont, les investissements ont augmenté rapidement au cours des dernières années, mais la majeure partie de cette augmentation est due à la flambée des coûts de production. Accroître la production dans les pays ou elle est la moins onéreuse - la plupart membres de l’OPEP - sera une question centrale pour parvenir à faire face à la demande mondiale à un coût raisonnable.
Déclin accéléré des gisements
La perspective d’une accélération de la baisse de production dans les différents champs de pétrole vient ajouter à ces incertitudes. Les résultats d’une étude sans précédent analysant en détail l’historique des tendances de production sur 800 champs pétrolifères indiquent que les pourcentages de déclin de la production sont susceptibles d’augmenter de manière significative dans le long terme, passant d’une valeur moyenne de 6,7% aujourd’hui à 8,6% en 2030. « Malgré toute l’attention qui est accordée à la croissance de la demande, le déclin de la production est en fait un facteur beaucoup plus important pour déterminer les besoins en investissements.
Même si la demande de pétrole restait stable à l’horizon 2030, une capacité de 45 mb/j de brut - à peu près quatre fois la production actuelle de l’Arabie saoudite - devrait être disponible en 2030, juste pour compenser l’effet de la perte de production des gisements », a ajouté M. Tanaka .
Le WEO-2008 analyse également les politiques qui pourraient être mises en oeuvre pour lutter contre le changement climatique après 2012, date à laquelle un nouvel accord mondial - devant être négocié sous l’égide de l’ONU à Copenhague l’année prochaine - devrait entrer en vigueur. Cette étude fait l’hypothèse que soit mise en œuvre une approche hybride, incluant une combinaison de limitations des émissions et de marché des droits à polluer, des accords sectoriels et des mesures nationales.
Au vu des tendances actuelles, les émissions de CO2 liées à l’énergie sont appelées à augmenter de 45% entre 2006 et 2030, pour atteindre 41 Gigatonnes (Gt). Les trois-quarts de cette augmentation proviendront de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient, et 97% du total de pays hors OCDE.
Scénario 550ppm
La stabilisation de la concentration des gaz à effet de serre à 550 ppm d’équivalent CO2, ce qui limiterait l’augmentation de la température à environ 3 ° C, requiert que les émissions n’excèdent pas 33 Gt en 2030 puis déclinent sur le long terme. La part des énergies pauvres en carbone - énergie hydroélectrique, nucléaire, biomasse, énergies renouvelables et centrales électriques à combustibles fossiles équipées de dispositifs de captage et stockage du carbone (CCS) - dans le mix énergétique mondiale d’énergie primaire devrait augmenter de 19% en 2006 à 26% en 2030. Cela nécessite 4 100 milliards de plus d’investissements dans l’énergie sur l’infrastructure et le matériel que dans le scénario de référence - soit 0,2% du PIB mondial annuel. La majeure partie serait prise en charge par la demande, avec 17 dollars de dépense supplémentaire par personne et par an dans le monde entier pour augmenter l’efficacité énergétique des véhicules, des appareils et des bâtiments. D’autre part, l’amélioration de l’efficacité énergétique permettrait de réaliser une économie sur les dépense de carburant de plus de 7 0000 milliards de dollars.
Scénario 450ppm
D’une toute autre ampleur serait la tâche visant à limiter à 450 ppm d’équivalent CO2 la concentration de gaz à effet de serre, ce qui entraînerait une élévation de la température d’environ 2 °C. Dans ce cas, les émissions de CO2 mondiales liées à l’énergie devraient baisser fortement à partir de 2020, pour atteindre moins de 26 Gt en 2030. « Nous aurions besoin de l’action concertée de tous les principaux émetteurs. Notre étude montre que les pays de l’OCDE ne peuvent à eux seuls mettre le monde sur la trajectoire des 450 ppm, même si ils réduisaient leurs émissions à zéro », a averti M. Tanaka. Pour parvenir à un tel résultat, il faudrait également accélérer le développement des énergies pauvres en carbone - à hauteur de 36% des sources d’énergie primaire d’ici à 2030. Dans ce cas, l’investissement mondial dans l’énergie devrait être augmenté de 9 300 milliards de dollars (équivalents à 0,6% du PIB mondial annuel) ; dans ce scénario, les économies de carburant se monteraient à 5 800 milliards.
Copenhague
Le rapport WEO-2008 démontre que les mesures de réduction des émissions de CO2 permettront également d’améliorer la sécurité énergétique mondiale par la réduction de l’utilisation des énergies à base de combustibles fossiles. Mais les grands pays producteurs de pétrole ne devraient pas pour autant s’en alarmer. « Même dans le scénario des 450 ppm, la production de l’OPEP devra être supérieure de 12 mb/j en 2030 par rapport à aujourd’hui. » note M. Tanaka.
« Il est clair que le secteur de l’énergie aura à jouer un rôle central dans la lutte contre le changement climatique. L’analyse proposée dans ce rapport fournira une base solide pour tous les pays cherchant à négocier un nouvel accord mondial sur le climat à Copenhague. »
Sur le web :
La page d’accueil du WEO 2008
énergies renouvelables